Crédit Suisse : un acte de guerre économique ?
Dans la guerre froide 2.0 qui oppose les États-Unis à la Chine, la Saudi National Bank, actionnaire majoritaire du Crédit Suisse, a bien failli faire sauter le système bancaire occidental.
Points clés :
-Mercredi 15 mars 2023, la Saudi National Bank, actionnaire majoritaire de Crédit Suisse, annonce qu’elle n’aiderait « absolument pas » la banque en cas de problèmes financiers.
-Cette déclaration provoque un vent de panique sur les marchés financiers, face au risque de faillite qui entraineraît une crise bancaire systémique.
-Une telle annonce de la Saudi National Bank intervient après le rapprochement entre l’Arabie Saoudite et la Chine, qui constitue un reversement diplomatique.
Le contexte :
L’annonce récente de la Saudi National Bank (SNB), principal actionnaire de Credit Suisse, concernant son refus de soutenir la banque en cas de nouvelle levée de fonds, a déclenché une onde de choc sur les marchés boursiers. Dans une interview accordée à Bloomberg TV, le président de la SNB a catégoriquement écarté cette possibilité, évoquant des raisons réglementaires et statutaires.
La déclaration de la SNB a entraîné une chute de près de 30% du cours de l'action Credit Suisse en une séance, entraînant dans son sillage les autres banques européennes, avec une baisse de 12% pour la Société Générale, 10% pour BNP Paribas et 5% pour le Crédit Agricole.
Une banque dont tout le monde connaît la fragilité
Crédit Suisse est une banque fragilisée par une série de scandales et des pertes faramineuses dans son activité de trading, évaluées à 7,2 milliards de dollars en 2022.
En octobre dernier, elle avait déjà provoqué l'inquiétude des investisseurs en raison de son manque de solvabilité, la banque ayant plus de dettes que d'actifs. Cette situation, révélée le Financial Times en octobre 2022, a provoqué le retrait de 118,71 milliards de dollars de dépôts, fragilisant encore plus la santé financière de la banque.
La faillite de crédit suisse entraînerait avec elle l’ensemble du système bancaire occidental
L'éventuelle faillite de Credit Suisse pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l'ensemble du système bancaire occidental, en raison de la forte interconnexion des banques, aussi bien sur le marché interbancaire que via des produits d’assurance tels que les credit default swap (responsables de la propagation de la crise des subprimes).
D’autant plus que la taille de Crédit Suisse est cinq fois supérieure à celle de Lemann Brother, dont la faillite avait déclenché la crise des subprimes en 2008.
Face à cette situation d'urgence, la Banque centrale suisse est intervenue en octroyant à Credit Suisse un prêt de 53 milliards de dollars pour injecter des liquidités et éviter un mouvement de panique sur les marchés.
Une tentative de déstabilisations de la finance occidentale ?
Dans la guerre froide 2.0 qui oppose les États-Unis à la Chine et à la Russie, une telle décision de la Saudi National Bank, première banque du monde arabe, n’est pas anodine. Elle intervient après un divorce diplomatique entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite, désormais tournée vers la Chine.
L’Arabie Saoudite se tourne vers la Chine
Depuis plusieurs années, les Saoudiens accumulent des griefs contre leur ancien allié historique :
l’administration Obama a levé l’embargo Iranien.
l’abandon de la Syrie aux mains de la Russie et de l’Iran.
Un manque de soutien dans le conflit au Yemen.
Biden qualifiant l’Arabie Saoudite de « paria » après l’affaire Khashoggi.
La volonté de tirer les prix du pétrole à la baisse via les sanctions prises contre la Russie (mise en place d’un prix plafond) et en puisant dans les réserves stratégiques américaines.
Au mois de décembre 2022, la visite officielle du président Chinois en Arabie Saoudite a provoqué un changement géopolitique majeur. Elle s’est conclue par un ensemble d’accords qui renforce les liens entre les deux pays :
Soutien militaire de la chine, qui tend à se substituer aux États-Unis.
Achat massif de pétrole.
Non-ingérence dans les affaires intérieures du pays.
Coopération pour le développement de la filière nucléaire en Arabie Saoudite.
À plus long terme, utilisation du Yuan plutôt que du dollar pour réaliser les ventes de pétrole.
Une reconfiguration géopolitique au Proche-Orient
Plus récemment, la Chine s’est même illustrée dans son nouveau rôle de médiateur en permettant la finalisation d’un accord historique entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Les deux anciens adversaires s’engagent désormais dans une voie de coopération économique :
Une diminution des tensions au Yemen et au Liban
Le rapprochement tout aussi historique en l’Arabie Saoudite et la Syrie
Des investissements Saoudiens en Iran
Le retrait des États-Unis permet une reconfiguration de la donne géopolitique. Israël se retrouve plus isolé que jamais et la Chine s’impose comme le nouveau leader au proche orient.
Elle renforce ses relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite, le Qatar (avec qui elle a également passé d’énormes accords d’approvisionnement en gaz) et l’Iran. Via l’Iran, l’alliance entre ces pays est élargie à la Russie et à la Syrie, regroupant désormais les principaux pays de l'OPEP+ (même si on peut s’attendre à ce que des tensions internes persistent).
Un acte de « guerre économique » ?
En refusant de soutenir le Crédit suisse, la Saudi National Bank aurait pu provoquer la faillite d’une banque systémique, entraînant avec elle la faillite de l’ensemble du système bancaire Occidental.
L’annonce de la Saudi National Bank de ne pas soutenir le Crédit Suisse peut donc être interprétée comme un acte volontaire de déstabilisations économique. Le président de la plus grande banque Saoudienne ne pouvant pas ignorer l’impact de ses propos sur les marchés financiers.
Cette hypothèse d’une guerre économique est renforcée par les nombreuses « sanctions » déjà prises par les États-Unis contre la Chine, ainsi que par l’annonce quasi simultanée du renforcement de la « coopération stratégique » entre la Chine et la Russie. Xi Jinping et Vladimir Poutine ont prévu de se rencontrer à la fin du mois de mars 2023, pour discuter d’une « nouvelle ère » russo-chinoise.