Immobilier commercial : la bombe à retardement qui menace les banques
L'escalade des taux d'intérêt et le durcissement des conditions de crédit mettent en péril le refinancement de plusieurs milliers de milliards en prêts immobiliers commerciaux. Explications.
Plus de 2 500 milliards de dollars de dettes immobilières commerciales arriveront à échéance au cours des cinq prochaines années aux États-Unis et 1 400 milliards d'euros en Europe.
Toutefois, les taux d'intérêt ayant plus que doublé et le taux d'occupation de l'immobilier commercial étant seulement de 60 à 70 %, le refinancement de ces prêts sera extrêmement coûteux et pourrait déclencher la prochaine grande crise économique.
Une fois de plus, les banques régionales sont en première ligne, totalisant 70 % des prêts accordés à ce secteur.
Baisse de la valeur des biens, difficultés de financement et risque de défauts
Le développement du télétravail depuis la pandémie de Covid a limité la demande d'immobilier commercial, créant une offre excédentaire de mètres carrés. Cette dynamique baissière a été récemment exacerbée par le resserrement des conditions de crédit. D’une part, parce que les turbulences financières couplées au renchérissement du coût du capital poussent les banques à plus de prudence, mais aussi parce que la hausse des taux et la raréfaction des liquidités rendent mécaniquement le crédit plus rare et plus cher.
Le refinancement des prêts est une opération cruciale, qui tient à la spécificité du secteur de l'immobilier commercial, dans lequel la durée des prêts est très courte (de 5 à 10 ans). Les mensualités versées couvrent donc généralement les intérêts et une partie du capital, mais pas l'intégralité du montant emprunté. À l'échéance du prêt, le solde restant ("balloon payment") doit être remboursé en totalité.
Dans la plupart des cas, les investisseurs ne disposent pas de liquidités suffisantes pour rembourser ce montant forfaitaire. Par conséquent, ils doivent refinancer le prêt, c'est-à-dire contracter un nouveau prêt pour rembourser le solde restant du prêt initial.
Or, le montant du prêt accordé dépend de la valeur du bien financé (modèle dit de « loan to value »). Cela signifie que lorsque les prix immobiliers baissent, la valeur des propriétés commerciales en tant que garantie pour les prêts diminue également. Cela rend les prêteurs plus réticents à accorder des prêts ou à refinancer les prêts existants, car le risque de défaut est perçu comme étant plus élevé.
Des problèmes en cascade
Le resserrement du crédit entraîne une diminution de la demande de biens immobiliers commerciaux. Puisque les entreprises et les investisseurs sont plus prudents, en raison de l'incertitude économique, des difficultés d'accès au financement et de la baisse des rendements.
La baisse de la demande entraîne une augmentation du nombre de propriétés commerciales vacantes, qui entraîne à son tour une diminution de la valeur des garanties et des revenus locatifs, affectant la capacité des propriétaires à rembourser leurs dettes. Les prêteurs imposent alors des conditions de crédit encore plus strictes, augmentant ainsi le risque de défaut de paiement et la saisie des propriétés.
Ces difficultés et défauts de paiement peuvent provoquer un effet domino sur le marché immobilier, accentuant la pression à la baisse sur les prix et les loyers et compliquant davantage le refinancement pour l'ensemble des propriétaires d’immobilier.
Or, les prêts immobiliers représentent une part conséquente du bilan des banques régionales aux États-Unis (43 % de l'ensemble des prêts). En Europe, Bloomberg Intelligence estime qu’une dépréciation de 5 % des prêts immobiliers commerciaux effacerait presque un quart des profits des banques. La région nordique étant la plus touchée.
Le risque d'une "boucle de la mort"
Paul Ashworth, économiste en chef chez Capital Economics, a déclaré que dans le pire des scénarios, une « boucle de la mort » pourrait se développer entre les banques plus petites et l'immobilier commercial, où les préoccupations concernant la viabilité des banques entraînent une fuite des dépôts, obligeant les prêteurs à réclamer le remboursement anticipé des prêts immobiliers commerciaux et déclenchant une chaîne de défauts de paiement.
Les prêteurs privés pourraient également se retrouver pris au dépourvu. Blackstone, par exemple, a été contraint de limiter les retraits de son fonds immobilier privé suite à une hausse des demandes de rachat, motivées par la crainte des investisseurs quant aux conséquences de la hausse des taux et du resserrement des conditions de crédit sur le marché immobilier commercial.
Le bilan des banques dans le viseur
Outre le risque fatal d'une série de défauts de paiement, cette situation a également des répercussions sur la santé financière des banques. En cas de réévaluation, la valeur des prêts accordés serait considérée comme trop élevée par rapport aux actifs financés.
Les banques devraient alors chercher des solutions pour rééquilibrer leur situation et maintenir leur ratio de solvabilité, mais les options sont minces. Réduire davantage les prêts accentuerait le ralentissement du secteur, vendre les prêts avec une décote reviendrait à acter des pertes latentes et lever des capitaux propres est actuellement une démarche inenvisageable depuis que les créanciers de Crédit Suisse ont été échaudés.