Le risque de contagion : comment une crise financière se propage dans le monde entier ?
Une banque fait faillite dans la Silicon Valley et c'est la planète toute entière qui tremble...
À la manière d’un funeste jeu de dominos, lorsqu’une banque chancelle l’ensemble du système vacille. Le 14 mars 2023, la Silicon Valley Bank annonce une perte de 1,8 milliard de dollars sur le marché obligataire. Le jeudi 15 mars, la capitalisation boursière des quatre plus grosses banques américaines fond de 52 milliards de dollars, entraînant les banques européennes dans leur sillage.
La contagion bancaire est un phénomène redouté dans le monde de la finance. Il désigne la propagation rapide des difficultés financières d'une banque à l'ensemble du secteur bancaire, voire à l'économie dans son ensemble.
La panique des investisseurs
Le mécanisme de contagion est souvent initié par un événement précis, comme la faillite d'une banque, une crise financière, ou encore la chute brutale des marchés boursiers. Cet événement entraîne une perte de confiance immédiate des investisseurs et des déposants.
Bank Run : la course aux retraits
Tous les clients de la banque touchée cherchent alors à récupérer leur argent en même temps, ce qui crée un mouvement de panique appelé “Bank Run”. La banque ne peut pas répondre à toutes les demandes de retrait simultanées, car une grande partie de l'argent est investie et donc pas immédiatement disponible en liquidités.
Pour faire face à cette situation, la banque est amenée à vendre rapidement certains actifs, tels que des obligations ou des actions, afin de récupérer de l'argent liquide. Cependant, cette vente précipitée déclenche une baisse des prix sur les marchés financiers, ce qui entraîne en retour des pertes pour d'autres banques qui détiennent également ces actifs dans leur portefeuille et provoque le même mouvement de panique chez leurs propres clients.
La contagion bancaire s'étend rapidement à l'ensemble du secteur bancaire et provoque des pertes importantes pour les banques, mais aussi pour les investisseurs et les épargnants.
L’interconnexion du système bancaire favorise la contagion des crises
L'interconnexion du système bancaire est un concept clé pour comprendre la propagation des crises financières. En effet, les banques sont interconnectées entre elles par le biais de différents canaux, tels que les prêts interbancaires, les transactions sur les marchés financiers et les dépôts croisés.
Si ces interconnexions ont des effets positifs sur l'économie en permettant une meilleure allocation des ressources et une augmentation des possibilités d'investissement, elles peuvent également favoriser la contagion des crises économiques.
Risques sur le marché interbancaire
Le marché interbancaire est un marché où les banques prêtent et empruntent de l'argent les unes aux autres à court terme. Ce marché est crucial pour le fonctionnement du système bancaire, car il permet aux banques de répondre aux besoins de liquidités temporaires. Toutefois, le marché interbancaire peut également être un vecteur de propagation des crises financières.
Son fonctionnement est relativement simple. Les banques qui ont des excédents de liquidités peuvent prêter de l'argent à des banques qui ont des besoins de financement à court terme. Ces prêts sont généralement garantis par des collatéraux, tels que des obligations d'Etat. Les banques qui empruntent de l'argent paient des intérêts à court terme sur ces prêts.
Lorsqu'une crise financière se produit, les banques peuvent devenir méfiantes les unes envers les autres. Si une banque est considérée comme étant à risque, les autres banques refusent de lui prêter de l’argent, ce qui entraîne une crise de liquidité.
Conséquence n°1 : le Bank Run
Qui dit crise de liquidité dit impossibilité de garantir l’épargne des clients. Dans un mouvement de panique, ceux-ci vont donc chercher à retirer leurs dépôts et provoquer la faillite de l’établissement.
Conséquence n°2 : le risque de défaut
Si, comme toute entreprise privée, cette banque ne peut pas rembourser ses dettes, elle risque de faire défaut. Les banques qui ont prêté de l'argent à la banque en faillite vont donc subir des pertes importantes, et les placer elles-mêmes dans une situation de défaut qui peut à son tour affecter d'autres banques qui leur ont prêté de l'argent, créant ainsi une cascade d'effets en chaîne et entraînant une crise de liquidité généralisée dans le système bancaire.
Conséquence n°3 : l’effondrement des marchés financiers
Pour faire face à son besoin de liquidités, la banque ou l’institution financière concernée va donc devoir vendre les actifs qu’elle détient (actions et obligations). Ce fort mouvement de vente entraîne une chute des valeurs boursière qui impacte tous les investisseurs.
Qu’est-ce que les dépôts croisés et comment participent-ils à la propagation des crises ?
Les dépôts croisés sont une pratique courante dans le secteur bancaire, où deux banques s'engagent mutuellement à se prêter des fonds en déposant leur excédent de liquidités sur les comptes de l'autre banque. Cette pratique est considérée comme une méthode de gestion des liquidités car elle permet aux banques de maximiser l'utilisation de leurs ressources financières.
Cependant, les dépôts croisés peuvent provoquer une contagion de la crise financière car ils augmentent le risque de propagation des pertes en cas de faillite d'une banque.
Si une banque fait faillite, les autres banques qui ont des dépôts croisés avec elle peuvent subir des pertes importantes, ce qui entraîne une panique sur le marché et peut provoquer une contagion de la crise financière.
En outre, cette pratique amplifie la propagation du risque dans le système bancaire car les banques peuvent utiliser les dépôts croisés pour financer des investissements risqués ou des prêts à haut risque. Un défaut de crédit ou une faillite sera alors répercuté aux banques déposantes.
L’amplification du risque par l’utilisation massive des produits dérivés à fort effet de levier
La spéculation avec effet de levier est une pratique courante sur les marchés financiers. Elle permet aux investisseurs d'augmenter leur pouvoir d'achat et de multiplier les gains potentiels, mais au prix de risques considérables.
Lorsqu'un investisseur utilise l'effet de levier, il emprunte des fonds à une institution financière ou à un courtier pour acheter des actifs financiers. Lorsque la valeur de ces actifs augmente, l'investisseur peut vendre les actifs et rembourser le prêt, tout en conservant le bénéfice. Cependant, si la valeur des actifs diminue, l'investisseur est confronté à des pertes importantes, qui sont amplifiées par l'effet de levier.
S’il devient incapable de rembourser ses dettes, l’ensemble des institutions financières ayant des liens avec lui sont impactées, ce qui renforce le risque de panique sur les marchés.
De plus, l’effet de levier favorise la formation de bulles spéculatives, les actifs étants surévalués en raison de la demande excessive des investisseurs. L’éclatement de cette bulle entraîne une baisse soudaine des prix et une cascade de pertes pour ceux qui ont utilisé l'effet de levier.
La diffusion systémique des chocs via la titrisation des actifs financiers
La titrisation des actifs financiers est une technique de financement qui consiste à transformer des actifs tels que des prêts hypothécaires, des créances commerciales ou des dettes en titres négociables sur les marchés financiers. Cette opération permet aux entreprises de convertir des actifs à long terme en liquidités immédiates en les vendant à des investisseurs qui cherchent des actifs à haut rendement.
Les titres de créance collatéralisés
Les collateralized debt obligations (CDO) sont des produits financiers dérivés qui regroupent des titres de créances telles que des prêts hypothécaires “subprimes”, des dettes de cartes de crédit ou des prêts étudiants, pour les transformer en titres négociables sur le marché.
En 2007, le contexte de taux de la FED favorise l’octroi de prêts immobiliers à taux variables à des ménages américains très peu solvables. Ces prêts sont ensuite “titrisés” sous forme de CDO et revendus à d’autres investisseurs et institutions financières (dont des banques européennes).
Lorsque la crise éclate (à cause d’une remontée trop rapide des taux de la FED), les ménages non solvables font défaut. Ayant acheté ces fameux CDO contenant la dette des ménages américains, les investisseurs du monde entier se retrouvent donc impactés.
Les CDO ont également contribué à la contagion de la crise financière en raison de leur interconnexion avec d'autres produits financiers tels que les crédits default swap (CDS).
Les Credit Default Swap
Les crédits default swap (CDS) sont des produits financiers dérivés utilisés pour protéger les investisseurs contre le risque de défaut de crédit d'un emprunteur. Ils fonctionnent comme une assurance contre le risque de non-remboursement d'une dette et permettent aux investisseurs de transférer ce risque à un tiers.
Les CDS ont participé à aggraver la crise financière de 2008 en raison de leur utilisation abusive et de la mauvaise gestion des risques par les institutions financières. Les banques ont créé des CDS en masse pour se couvrir contre le risque de défaut de crédit sur des produits financiers tels que les prêts hypothécaires à taux variables (subprime).
Par exemple, la Société Générale, en France, vend un CDS à J.P Morgan aux États-Unis. Le deal est simple : si le ménage américain qui a emprunté de l’argent pour acheter une maison ne peut pas rembourser son crédit, c’est la Société Générale qui le fera à sa place. Comme pour une assurance, J.P Morgan verse une “cotisation” en contrepartie.
Lorsque la crise des prêts hypothécaires “subprimes” a éclaté en 2007, les CDS ont aggravé la situation en propageant le risque de défaut de crédit à d'autres institutions financières et en entraînant une spirale de pertes.
Article rédigé par Antoine Parat pour Perspectives Critiques