Les banques centrales prises au piège de leurs politiques monétaires
Quelle que soit l'attitude des banques centrales, la hausse des taux paraît inévitable. D'autres faillites à prévoir ?
Le risque d’une crise financière après des années d’argent facile
« Les dominos ont-ils commencé à tomber » ? Dans sa dernière lettre annuelle, Larry Fink, le patron de BlackRock, premier gestionnaire d'actifs au monde, a exprimé ses préoccupations concernant l'effondrement de la Silicon Valley Bank (SVB), « la plus grande faillite bancaire en quinze ans ». Il craint que cela ne soit que le début d'une série de déboires financiers à venir.
Après des années de politique monétaire accommodante, la Federal Reserve (FED) a décidé de relever rapidement ses taux d'intérêt afin de ramener l'inflation à un niveau normal. Cependant, le rythme rapide de cette remontée des taux a entraîné la faillite de deux banques régionales aux États-Unis et a fait craindre un risque de contagion aux marchés européens. Le cours de Crédit Suisse a dégringolé de 30% durant la séance du 15 mars, entraînant avec elle toutes les banques du vieux continent.
Au coeur du problème : le marché obligataire
Le marché obligataire est un élément clé de cette situation. En effet, une grande partie des actifs des banques est investie sous forme d'obligations d'État, qui sont des contrats par lesquels un investisseur prête de l'argent à un État ou à une entreprise en échange du versement d'intérêts fixes. Le rendement d'une obligation dépend de son prix d'achat, car les intérêts versés sont fixes. Ainsi, si l'inflation augmente, le rendement réel d'une obligation diminue, ce qui peut entraîner une baisse de son prix.
Pour rappel, le problème est simple : une grande partie des actifs des banques est investie sous forme d’obligations. Une obligation est un contrat par lequel un investisseur prête de l’argent à un État ou à une entreprise en échange du versement d’intérêts fixes.
Les intérêts versés étant fixes, le rendement d’une obligation dépend de son prix d’achat. Ainsi, si l'inflation augmente, le rendement réel d'une obligation diminue, ce qui peut entraîner une baisse de son prix.
Par exemple, si vous achetez une obligation qui vaut 1000$ et qui rapporte 50$ par an, le rendement de cette obligation est de 5%.
Mais, si l’année suivante, l’inflation est elle-même de 5%, le rendement réel de votre obligation est de 0%. Par conséquent, le prix de l’obligation va baisser jusqu’à ce que les 50$ d’intérêts offrent un rendement réel de 5%, une fois l’inflation déduite.
De même, lorsqu'une banque centrale augmente les taux d'intérêt, la rémunération des nouvelles obligations est plus attrayante, ce qui entraîne une baisse du prix des anciennes obligations jusqu'à ce qu'elles offrent le même rendement que les nouvelles.
Toutefois, si de nombreux déposants souhaitent retirer leurs dépôts, la banque doit vendre ses obligations à perte pour se procurer les liquidités nécessaires. Cette perte peut menacer sa solvabilité et mener à la faillite, comme cela s'est produit avec la Silicon Valley Bank.
Le piège des taux d’intérêt se referme sur les banques centrales
La Réserve Fédérale américaine (FED) est en grande partie responsable de cette situation, ayant largement sous-estimé l'inflation en la considérant comme « sous contrôle » et « transitoire ».
Cette erreur a faussé les anticipations des investisseurs qui ont subi la perte rapide de valeur de leurs obligations après avoir été surpris par la hausse rapide des taux d’intérêt
Aujourd'hui, les banques centrales se retrouvent prises au piège de leur propre politique monétaire, dont la mission première est de garantir l'équilibre du système financier.
Car si la FED et la Banque Centrale Européenne (BCE) décident de poursuivre leur hausse rapide des taux, cela pourrait inévitablement provoquer d'autres faillites bancaires et engendrer un effet domino.
Mais les solutions ne sont pas simples.
Scénario 1 : les banques centrales ralentissent la hausse des taux.
Si les investisseurs anticipent que les nouvelles obligations n'offriront pas un rendement significativement meilleur que celui des obligations existantes, ils choisiront de conserver celles qu’ils détiennent déjà.
Par la loi de l’offre et de la demande, cela contribuera à faire monter le prix des anciennes obligations et soulagera le marché obligataire. Les banques n'auront plus besoin de vendre à perte et leur solvabilité ne sera pas menacée.
Cependant, cela signifierait que les banques centrales décident de laisser l'inflation galoper ! Or, comme nous l’avons expliqué précedemment, cela détruit le rendement réel des obligations.
Par conséquent, si les investisseurs anticipent que l'inflation va augmenter, ils n'accepteront pas de prêter de l'argent aux États, qui seront forcés de monter les taux d'intérêt qu'ils offrent.
Retour à la case départ, la hausse des taux d'intérêt provoquerait une perte de valeur des anciennes obligations et exposerait à nouveau les banques au risque de faillite.
De plus, la pression à la hausse des taux d'intérêt rendrait la dette des États de moins en moins soutenable, risquant de provoquer une crise de la dette souveraine.
Scénario 2 : les banques centrales continuent d’augmenter les taux d’intérêt.
Elles feraient preuve de crédibilité en continuant de ralentir l'inflation, mais elles provoqueraient d'autres faillites bancaires.
Pour y faire face, elles devront mettre en oeuvre des mécanismes de soutien très forts pour apporter immédiatement les liquidités nécessaires à la couverture des dépôts. On risque alors d'assister de nouveau à l'intervention des États pour renflouer les banques en difficulté. Comme en 2008, cela risquerait de se faire au détriment des contribuables, indirectement sollicités pour éponger les déboires financiers du système bancaire.
La crédibilité des banques centrale est affectée
La crise actuelle pourrait ébranler la confiance des investisseurs dans les banques centrales. Or, pour qu'une politique monétaire soit efficace, les investisseurs doivent avoir confiance. Tout signe de panique pourrait provoquer une crise incontrôlable.
Pourtant, il y a encore quelques mois, la Fed assurait que l'inflation serait temporaire et que la situation était sous contrôle.
Non seulement ce constat est faux, puisque le marché de l'emploi se porte mieux que jamais et l'inflation ne cesse d'augmenter. Mais en plus, en intervenant trop tardivement, la Fed n'a pas réussi à juguler l'inflation et a provoqué des faillites bancaires en raison de l'augmentation rapide des taux.
Autrefois prête à sacrifier l'emploi et la croissance pour maintenir l'inflation à 2%, la Fed est aujourd'hui confrontée à un risque systémique en envisageant une nouvelle hausse de ses taux d'intérêt.